Sur la Haute Route des Rocheuses

Après deux jours de repos salvateur à Whitehorse et 2000 km en bus pour échapper à l'hiver et éviter de passer trois semaines au milieu de forêts monotones, dont le seul intérêt aurait pu être de croiser enfin des ours, si tant est qu'il y en ait vraiment au Canada, nous avons rechaussé les cale-pieds à Prince George, en pleine forme pour aborder les Rocheuses. Le plat, c'est donc pas pour tout de suite.

Ca commence fort puisque la route passe au pied du Mont Robson, 3954 mètres, point culminant des Rockies Canadiennes, et dont nous ne verrons rien tant les nuages sont bas ce jour-là !

Heureusement, le soleil est au rendez-vous les 4 jours suivants et nous profitons pleinement des paysages époustouflants des parcs nationaux de Jasper et Banff que traverse la Icefield Parkway. Pendant 230 km, cette belle route court au milieu d'une large vallée, couverte d'une douce forêt et longe par endroit une rivière émeraude parfois tumultueuse. Sur les hauteurs s'enchaînent des dizaines de sommets de plus de 3000 m, énormes tours calcaires striées de neige, faces immenses et abruptes de roc et de glace. Et nous rêvons alors de troquer nos vélos contre une paire de crampons et un piolet. Nous nous contenterons d'une randonnée qui, partant d'un sentier à touristes, nous mènera quand même, les pieds dans la neige, à un sommet sans nom à 2600 m. Ce belvédère inattendu nous offre une vue panoramique sur toute la vallée et les sommets environnants.

Une question se pose alors : l'Icefield Parkway est-elle vraiment la plus belle route du monde, comme le prétendent les dépliants ? Du monde, nous ne connaissons pas grand chose, mais pouvoir accéder aussi facilement par la route à de telles merveilles naturelles, c'est exceptionnel, et on a du mal à imaginer ailleurs un tel paradis pour le cyclo et l'automobiliste. C'est justement la que le bât blesse : déjà la présence d'une route, payante, au milieu d'un parc naturel a de quoi surprendre. Surtout, le balisage et les nombreux aménagements de la Highway donnent l'impression de circuler dans un Disneyland de la montagne, un drive in paysager, dans lequel il n'est pas besoin de descendre de voiture pour prendre une photo. Et l'on imagine avec effroi l'encombrement des lieux en juillet août, avec son cortège ininterrompu d'autobus et de camping cars déversant leurs troupeaux de japonais photomaniaques.

C'est l'avantage, en octobre, nous échappons la foule, mais pas au froid qui sévit en altitude. C'était bien la peine de filer au sud, nous avons encore plus froid que dans le Yukon. Il fait -7 degrés le matin a 1500 m, nous mangeons du pain congelé et le midi des oeufs en gelée au col à 2000 m. Sur la route, la lente décongélation de nos extrémités prend un certain temps, mais comme nous n'avons pas froid aux yeux, nous profitons pleinement du paysage. Nous ne restons pas de glace face à cette situation qui risque de nous transformer en gelure ambulante ! Nous faisons avec les moyens du bord : les journaux gratuits sont reconvertis en membranes windstopper pour nos polaires. Une fois trop usés, nous les enroulons autour de nos pieds et enfilons par dessus un emballage de pain de mie ! Et voici une isolation peu coûteuse et efficace de jour comme de nuit. Les sacs à pain nous servent aussi de sur-gants pour les heures les plus froides de la journée, c'est-à-dire tout le temps. D'où l'expression : "Du sac à pain au sac à main il n'y a qu'un P, et qu'un pas du sac à pain au sac à pied". Avec nous rien ne se perd, tout se récupère. Les cyclos recyclent !

La réglementation du Parc nous oblige à camper clandestin, la planque idéale étant les campings fermes dont nous profitons des infrastructures, c'est à dire une table et un container anti-ours dont l'utilité reste à prouver... Le camping sauvage ne l'est pas toujours tant que ça. Ainsi, à la sortie des Rocheuses, nous avons passé une nuit coincés entre la voie ferrée et la route Transcanadienne. Et c'est justement ce matin la que nous avons pu observer un troupeau d'une vingtaine de caribous. En revanche, que les familles se rassurent, nous n'avons pas vu l'ombre de la queue d'un ours, et c'est désormais sans espoir puisque nous quittons les montagnes et roulons à présent vers la douce vallée de l'Okanagan et ses vergers accueillants.

Xav et Xav

[Accueil]